Partie 1
Code
gris : Le brumisateur rouge
1.
Venti
26 juin 19h15
Depuis quelques heures, l’hôpital était en effervescence. Nous
avions accueilli un certain Vincent Éluard, âgé de 26 ans, piqué par une
araignée lors de son séjour à Rome.
- Richard ! criai-je, tu as des nouvelles d’Éluard ?
J’ai entendu dire qu’il avait eu une crise d’hallucination.
Le jeune infirmier s’arrêta, et j’aperçus une ombre violette sur
sa joue. Il suivit mon regard et porta la main à sa blessure :
- C’est votre patient docteur, rigola-t-il, il m’a collé une de
ces droites ! Il était déchainé, il hurlait comme si on lui arrachait le
cœur à mains nues.
Il s’arrêta, sembla réfléchir, et reprit :
- Non, en fait, il hurlait qu’on lui arrachait le cœur. Plus
exactement qu’un monstre violet et visqueux le lui arrachait avec son
tentacule. Et qu’une araignée lui mangeait le bras. Ah ça docteur, nos patients
ont beaucoup d’imagination !
Nous rigolâmes bruyamment, la vie dans un hôpital était pleine de
surprise !
- Tu as reçu les analyses du patient ?
Il me tendit un paquet de feuilles :
- Nous n’avons pas trouvé grand-chose, grimaça-t-il, mais certains
résultats sont étranges. Le prélèvement des tissus de son bras indique qu’ils
ne contiennent pas d’oxygène. Nous avons également trouvé la présence de
micro-organismes actifs.
- Mais ce que vous me dites est impossible ! m’exclamai-je,
il est en train de pourrir sur place !
- Croyez-vous que la décomposition va s’étendre au reste de son
corps ?
- Je ne sais pas Richard, murmurai-je, je pense que nous devrions
le placer en isolement. Il faut être prudent avec les virus inconnus.
Je le saluai, puis nous reprîmes notre route, Richard en direction
de la chambre de Vincent, moi vers la salle du Conseil.
Nous étions 16 des plus grands médecins d’Europe à avoir été
convoqués par le directeur de l’hôpital, Louis Chiroli. Je m’assis aux côtés de
Laurent Baushka, un spécialiste des maladies rares, presque aussi arrogant que
je ne l’étais. A 56 ans, j’étais le plus grand médecin français spécialisé en
pathologies infectieuses, et évidemment, j’étais reconnu internationalement. Si
je suis devenu médecin, ce n’est pas pour venir en aide aux personnes malades.
Non, c’était pour la renommée, la célébrité. Objectif atteint brillamment aujourd’hui.
Le directeur de l’hôpital prit la parole :
- Chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis afin de parler
du cas de Vincent Éluard. Le patient présente une infection au niveau du bras
gauche. D’après le rapport que vient de me donner le docteur Venti, il s’agit
d’une putréfaction localisée. Le venin a des propriétés encore inconnues de la
science à ce jour, nous ne savons pas jusqu’où la décomposition ira. Nous ne
savons pas non plus s’il y a un risque de contagion.
- Si j’ai bien compris, l’interrompit Baushka, vous ne savez
absolument rien sur ce virus ?
Chiroli eût un sourire pincé, mais garda son calme :
- En effet, nous ne savons rien sur le virus Zolitex. Mais
peut-être saurez-vous nous éclairer docteur Baushka ?
Il baissa la tête, et marmonna un vague « Non ».
Satisfait, le directeur continua :
- Ainsi, je vous pose la question : pensez-vous qu’un
isolement total du patient est nécessaire ? Ou alors l’amputation est-elle
une solution plus raisonnable ?
11 médecins votèrent non. Je faisais partie de ceux qui pensaient
qu’il valait mieux prévenir que guérir. Nous ne savions absolument rien sur ce
virus, et étant donné les dégâts qu’a subit le bras d’Éluard, il est
extrêmement dangereux. Je ne comprenais pas comment pouvaient-ils courir le
risque d’une contamination majeure de tout le bâtiment.
- Nous pensons, déclara un gros médecin que je ne connaissais pas,
qu’il vaut mieux étudier l’action du virus sur le corps, car ce que nous en
voyons pour l’instant est incroyable.
Ses yeux brillaient d’excitation, il parlait fort, agitait les
mains et transpirait comme un bœuf :
- Si nous le mettons en isolement, il risque d’y avoir une fuite –
vous savez à quel point les nouvelles circulent vite dans les hôpitaux -, ce
qui ameuterait la presse et créerait une vague de panique. L’opportunité
d’avoir un tel cas dans vos locaux ne se reproduira pas Monsieur Chiroli. Nous
ne pouvons pas couper ce bras et le jeter dans une poubelle, nous ne devons pas
laisser les badauds curieux gâcher cette occasion. Nous n’en avons pas le
droit. Nous le faisons au nom de la science et du progrès.
Intérieurement, j’applaudissais.
Ironiquement bien sûr.
Évoquer la science et le progrès pour arriver à ses fins, c’était
pitoyable. Tout le monde allait plaider en sa faveur, pour assouvir leur
curiosité morbide, au nom d’un soi-disant code de l’honneur des médecins.
Pathétique.
- Entendu, approuva le directeur, Éluard restera donc dans sa
chambre. Nous le traiterons comme un patient lambda. Merci messieurs, vous
pouvez vous retirer.
Je me levai, éprouvant une étrange sensation. D’une certaine
façon, mon côté scientifique hurlait de plaisir, il voulait découvrir ce que
cachait ce mystérieux virus. Mais mon côté rationnel me disait que nous
prenions un risque énorme en laissant Éluard sans protection. J’avais un
pressentiment, je savais que ces symptômes n’étaient pas normaux, mais que
pouvais-je faire face à tous ces médecins qui étaient contre moi ?
Il fallait que j’aille vérifier s’il allait bien, voir si son état
n’avait pas empiré.
En sortant de l’ascenseur, je tombai sur une scène digne d’un
film : tout le monde hurlait, c’était la panique la plus totale.
- Quelqu’un peut-il me dire ce qu’il se passe ici ? criai-je
d’une voix autoritaire. Personne ne me répondit. Passablement agacé – je
déteste quand on conteste mon autorité - je me dirigeai vers la pagaille.
Ce que je vis me coupa le souffle : plusieurs personnes
étaient affalées sur le sol. J’avais l’habitude de voir du sang, mais là, dans
ce contexte, j’avais terriblement envie de m’enfuir en courant.
Une vraie mare de sang.
Prenant mon courage à deux mains, je partis porter secours aux
blessés. Suzanne, une jolie infirmière rousse – des rumeurs circulaient sur
notre relation, qui ne sont pas infondées… - se tenait le cou d’une main, et
repoussait de l’autre un homme penché sur sa jambe. Je pris l’inconnu par les
épaules et le poussai contre le mur.
- Suzanne, dis-je en posant sa tête sur mes genoux, Suzanne, c’est
moi Isaac. Restes avoir moi tu entends ? Restes avec moi. Tout va bien se
passer, tu vas t’en sortir.
Elle me regarda, jamais je n’avais vu une si grande frayeur, une
détresse indescriptible. Je posai mes deux mains sur sa blessure, mais le sang
s’y échappait par flots, son teint était livide.
L’homme agenouillé se tourna soudain vers moi.
C’était Vincent.
J’étais tellement secoué que n’avais pas pensé à regarder
l’identité de l’agresseur. Son regard était vide, de la couleur bleue de la
mort, sa bouche rouge de sang. Il émettait un son proche du grognement, ce
n’était pas humain. Je le vis se redresser et se diriger vers moi en titubant. Je
ne pouvais pas bouger, j’étais pétrifié de frayeur.
Soudain, Vincent sauta sur moi.
Un cri ridicule sortit de ma gorge, un cri de fillette – heureusement,
le bruit couvrit ma voix. Je posai mes mains sur son torse et tentai de le
repousser, mais sa force était incroyable, je ne parvenais pas à m’en
débarrasser.
Ma seule chance était de le tuer.
Je plantai mon scalpel dans son ventre, mais ça n’eut aucun effet,
il continuait d’essayer de me mordre, ses dents aiguisées n’étaient qu’à
quelques centimètres de mon cou. Alors, par désespoir, je lui enfonçai l’instrument
aussi fort que je le pus dans son crâne. Il cessa enfin de se débattre et roula
sur le sol poisseux.
Tous mes collègues étaient allongés, recouverts de sang.
Morts.
Essoufflé, abattu, je m’assis pour me remettre de mes émotions.
Soudain, je vis le bras de Stephan, l’un des infirmiers,
tressaillir. Ses paupières s’ouvrirent sur des yeux vitreux.
Les mêmes que ceux
d’Éluard.
Je n’attendis pas mon reste
et couru en direction des escaliers, prêt à m’enfuir de cet hôpital de malheur.
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RépondreSupprimerOui pourquoi pas !
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